Quand la science se heurte aux dogmes collectifs



7 février 2016





Tribune signée par Nicolas Germain et publiée dans Les Échos





Les dangers du nucléaire et les effets néfastes sur la santé du bisphénol A, par exemple, sont présentés comme certains et incontestables auprès du grand public. Se limiter à des opinions moralisatrices, sans étudier ces sujets sous tous les angles, peut mener à l'impasse.


Énergie nucléaire, pesticides, OGM, gaz de schiste : difficile de développer un discours scientifique qui détonne par rapport aux postures moralisatrices dominantes sans être qualifié de pollueur ou d’empoisonneur. Les débats ne s’en retrouvent que plus tendus, et les arbitrages que plus difficiles à prononcer.


Mettre en exergue ces dogmes et les contester ne revient pas à servir les intérêts des industries pétrochimiques ou pharmaceutiques : il s’agit simplement de faire preuve de prudence et de ne pas laisser les passions prendre le pas sur les actions politiques à mener, au regard de l’urgence exigée par la situation environnementale ou sanitaire. Pour preuve de la pression que suscite cette doxa, citons un article de Mediapart qui érige au rang de climatosceptique le professeur Marc Fontecave, chimiste réputé, membre du Collège de France et de l’Académie des sciences, pour s’être interrogé sur les causes réelles du réchauffement climatique sans pour autant en avoir nié l’existence.


Des relations ambiguës


L’opinion publique entretient des rapports ambigus avec la question scientifique : tantôt elle espère du progrès technologique la résolution de problèmes sociétaux notamment sur le plan de l’énergie et de la santé, tantôt elle associe la science à une source exclusive de catastrophes.


Ne percevoir l’industrie du médicament que sous le prisme du Mediator ou n’associer l’énergie nucléaire qu’au seul drame de Fukushima a pour effet de fomenter de véritables blocages. Bhopal, Tchernobyl, AZF, affaires de corruption, crises sanitaires : tous ces faits justifient de façon tout à fait légitime un sentiment de défiance à l’égard de la science, mais détournent notre regard des bienfaits et des avancées dont celle-ci s’accompagne par ailleurs.


Le cas du nucléaire


Prenons deux exemples pour illustrer la nature de ces positions dogmatiques et les problèmes qu’elles impliquent : le cas du nucléaire d’une part, celui du bisphénol A d’autre part. Concernant le nucléaire, l’enjeu est de savoir quelle problématique fixe les orientations publiques. Admettons que l’ambition soit, dans la lignée de la Conférence de Paris de 2015 sur le Climat, de limiter les émissions en dioxyde de carbone.


En ce cas, il convient de s’interroger sur la pertinence de la réduction de 75 % à 50 % à horizon 2025 de la part du nucléaire dans la production électrique selon les dispositions prévues par la loi de transition énergétique, alors que l’énergie nucléaire « est une source d’électricité en charge de base à faible émission de gaz à effet de serre (GES) arrivée à maturité », selon le GIEC.


Bien entendu, divers risques et obstacles sont associés à cette question du nucléaire (traitement des déchets, extraction de l’uranium, risques financiers, etc.). Toutefois, le débat mérite d’avoir lieu, sans être ipso facto sacrifié sur l’autel d’une opinion publique divisée (2 Français sur 3 considèrent que le nucléaire est un sujet tabou selon un sondage Ifop du 8 juillet 2014) et de la nécessité pour le gouvernement en place de s’attirer les faveurs de l’électorat écologiste.


L'exemple du bisphénol A


Le cas du bisphénol A (BPA) est tout aussi éloquent. Ce produit chimique est essentiel à la fabrication de polymères que l’on retrouve dans les ordinateurs, les lunettes, les contenants alimentaires, les plastiques de toutes sortes, etc. Accusé d’être un perturbateur endocrinien, c’est-à-dire pouvant causer des anomalies physiologiques et de reproduction, le BPA est d’abord interdit dans les biberons en 2010 puis dans les contenants alimentaires par la loi du 13 décembre 2012. Pourtant, dans son avis rendu en 2015, l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) conclut que « le BPA ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs, car l’exposition actuelle à cette substance chimique est trop faible pour être dangereuse ».


Plus encore, à la question « le BPA est-il sans danger ? », la Food and Drug Administration (FDA) répond que les informations disponibles corroborent la sûreté de la molécule en ce qui concerne les contenants alimentaires et les emballages. Autant d’études qui incitent à la prudence, et invitent à ne pas céder sans discussion préalable aux sirènes alarmantes associant le BPA au cancer ou à la déréglementation hormonale. Parce que l’enjeu, sur des sujets aussi polémiques pour lesquels certains points font débat, semble être de pouvoir prêter l’oreille aux positions de toutes les parties prenantes, y compris celles que l’on suppose ne pas se situer dans le camp du bien et de la morale.


Ne pas opposer science et nature


Ne plus opposer de manière quasi pavlovienne la science à la nature, ne plus appréhender la première comme source de destruction de la seconde, c’est se placer du côté du progrès. Aujourd’hui, les travaux du professeur Marc Fontecave portent sur la transformation de l’eau en hydrogène et la valorisation du dioxyde du carbone pour en faire des hydrocarbures. Comment un média, quel qu’il soit, peut-il clouer au pilori sans fondement scientifique une telle éminence de la chimie internationale ?


La démarche scientifique vise précisément à s’interroger de tout, à ne s’interdire aucun champ de réflexion possible. L’idée n’est pas d’être un pro-nucléaire acharné ou de soutenir coûte que coûte la production de BPA, mais de ne pas museler le débat scientifique au prétexte de préserver la sensibilité des uns et les intérêts politiciens des autres. Rappelons-nous Galilée, Charles Darwin, Albert Einstein : tous ont eu à se battre contre les blocages de leur temps, quitte à se mettre en porte à faux avec la pensée dominante de leur époque.


Crédit photo : Jeanne Menjoulet