À l'heure des innovations technologiques et pédagogiques portées par les réformes, qu'en est-il de leur impact sur les professeurs et leur manière d'enseigner ?
Il est fini le temps des maîtres d’école qui tapaient sur les doigts de leurs élèves ! L’autorité abusive, associée à ces maîtres, semble désormais s’être évaporée au profit de « leadership partagé » et de « sanctions participatives ». Mais commençons par l’étymologie latine du terme « autorité » – le latin pouvant toujours servir. L’autorité a pour racine le verbe « augere », qui signifie augmenter, accroître, développer.
Nous sommes bien loin de la barbarie à laquelle renvoie désormais ce mot et bien proche de la mission du professeur. En effet, que fait-il dans sa classe, si ce n’est transmettre aux élèves pour augmenter leurs savoirs et les aider à se développer ?
Dans ce couple transmission-autorité, un élément vient perturber cet équilibre précaire : l’innovation. L’innovation technologique d’abord, a considérablement modifié la transmission. Le professeur, dont la légitimité était ancrée dans la connaissance voit désormais sa mission concurrencée par internet, les wikis ou encore par les MOOC (« Massive online open courses ») qu’il doit lui-même mettre en ligne. Internet rend les savoirs plus accessibles à chacun : une grande avancée, qui n’en comporte pas moins des répercussions. Le professeur n’est plus le seul vecteur du savoir et son autorité s’en trouve affaiblie, les habitudes étant révolutionnées par la technologie.
Le « par coeur » à l'ère du smartphone
Comment un professeur d’histoire pourrait-il encore exiger de ses élèves l’apprentissage de dates qu’ils trouvent en quelques secondes sur leurs smartphones ? Comment le professeur de français peut-il exiger une dictée sans fautes d’orthographe, exercice jugé dépassé à l’heure des correcteurs automatiques ? Les voies de la transmission se multiplient, certaines étant accessibles sans contrepartie ; les mœurs évoluent.
Professeur ou manager ?
Cependant, l’innovation technologique et pédagogique peut être au service d’une éducation plus inclusive et collaborative, qui redonnerait alors une place au professeur dont les missions doivent évoluer. Le professeur passerait de détenteur absolu d’un savoir à « manager » de ce même savoir. La maîtrise des nouvelles technologies serait alors pour lui une qualification sine qua non.
La maîtrise de sa propre matière, dont il faut extraire la « substantifique moelle », resterait primordiale. Faire comprendre à l’élève les logiques de la matière, lui permettre d’acquérir un recul critique à partir d’un noyau solide est peut être plus important que de courir après une exhaustivité qui n’accompagne pas l’élève plus loin que les portes de l’école ou la date du contrôle.
L’émulation, le travail en groupe, mais aussi la valorisation du travail personnel impliquant une appropriation du savoir de la part de l’élève, une prise de responsabilité, pourraient alors avoir la part belle, pour permettre au futur adulte de se faire une place dans un monde où, justement, tout est accessible et où il est important de pouvoir faire la part des choses. L’autorité du professeur, ne pouvant concurrencer les savoirs d’internet, se trouverait restaurée dans sa qualité d’expert et de « manager » accompagnant les innovations.
Pas d'accompagnement sans bases
Or, les réformes, symboles d’un certain type d’innovations pédagogiques, cherchent cet accompagnement de l’élève, mais sans lui donner une base solide sur laquelle s’appuyer ; une base de connaissance et de valeurs communes jugées trop contraignantes pour l’élève. Il serait peut-être temps que le professeur reprenne son rôle de passeur de traditions, ce qui n’est pas incompatible avec l’innovation. L’analyse de Luc Ferry est pour le moins éclairante. Dans le cycle de déconstruction vécu par notre société, les deux points pêchant le plus dans nos écoles sont l’orthographe et la discipline. Un hasard ? Non.
En effet, l’orthographe nécessite une application de la règle, venue de l’extérieur, tout comme la discipline est le respect de règles imposées à l’enfant pour le bien-vivre au sein de l’école, de sa classe, avant-goût de la société. Il faut bien se rendre à l’évidence que le professeur n’a plus les moyens et l’autorité nécessaires pour faire respecter ces deux points de tradition, l’école devant s’adapter à l’élève, innover pour son bien et non l’inverse.
Dans le cadre de la connaissance, il va de soi que l’enseignement doit s’adapter au mieux à l’élève pour que celui-ci comprenne. En revanche, dans le cadre de la tradition, c’est à l’élève de s’adapter aux règles, aux valeurs communes et l’école doit fournir au professeur les moyens pédagogiques et d’action, si besoin est, pour que le vivre ensemble soit possible.
L’accès au savoir n’étant plus uniquement du ressort du professeur, la transmission de tradition lui étant presque interdite, il se retrouve coupé de ce qui alimentait son autorité pour se retrouver « animateur » de classe, où sa mission principale est d’éviter les débordements. Les éléments d’une « crise de l’éducation », telle que la décrivait Hannah Arendt, sont alors bien présents : le lien entre l’école et le monde extérieur se désagrège et l’on voit monter les critiques envers une école qui ne prépare pas au monde extérieur.
Le professeur n’est plus un intermédiaire entre l’individu récemment « né au monde » et un monde ancien, qui comporte des contraintes que l’enfant doit apprendre pour à son tour s’intégrer. L’Éducation nationale s’efforce, au contraire, de laisser l’enfant le plus longtemps possible dans son monde de jeu, de découverte, de liberté.
Une fracture se crée alors entre la génération précédente, considérant « les jeunes » comme irresponsables et indignes de confiance, à moins qu’ils ne leur prouvent le contraire ; et la génération nouvelle, désenchantée à son entrée dans le monde ancien, ce qui amène souvent une attitude de désengagement. Cette fracture générationnelle ne fait que s’accroître au sein d’une société où le rôle des parents serait également à revoir.
Sans contraintes mais sans bagages
Les différentes innovations technologiques et pédagogiques, consistant dans la grande majorité à réévaluer la place et la liberté de l’enfant dans le système scolaire, ont bouleversé le visage de l’école. Les uns parlent avec nostalgie de l’école de leur temps, les autres, dans une fuite en avant, cherchent à ne plus rien faire peser sur le dos des élèves.
Si les réformes continuent à penser l’école indépendamment du monde, avec un langage impénétrable pour les non initiés, les élèves se retrouveront alors réellement sans contraintes, sans poids, mais aussi sans bagages… Évidemment, il ne s’agit pas ici de blâmer l’innovation, positive lorsqu’elle est réfléchie et qu’elle n’est pas pensée, à tout prix, contre des traditions qui, pour certaines, fonctionnaient très bien.
Mais force est de constater que l’essentiel est parfois perdu de vue et que dans la formation de nos professeurs, on leur fait clairement comprendre qu’ils n’ont « rien à transmettre », comme le souligne François-Xavier Bellamy. Accepter un rapport au savoir différent, ne pas nier un rapport à la tradition et inclure l’innovation technologique et ses conséquences devient plus que nécessaire si l’on veut des professeurs pouvant exercer leur métier correctement, fort d’une légitimité, pour le développement personnel de nos élèves.
Que le professeur leur transmette un socle culturel et traditionnel, à travers des connaissances – savoirs – des méthodes – savoir-faire –, mais aussi des règles – savoir-vivre – pour cultiver un vivre ensemble est peut-être une vieille innovation à remettre en place à l’heure d’un mode globalisé où tout semble se valoir, mais où l’intolérance n’est pas éradiquée pour autant.
Crédit photo : Sint Smeding