Le phénomène de l'intelligence artificielle (IA) affecte la plupart, sinon la totalité, des pans de notre économie. Selon un rapport d'Accenture, l'intelligence artificielle devrait accroître la rentabilité de 16 industries de 38 % en moyenne d'ici 2035. Et la finance ne semble pas faire exception.
Un sondage américain, mené conjointement par Narrative Science et le National Business Institute, indique que 32 % des cadres du secteur des services financiers auraient déjà recours à l'intelligence artificielle dans l’exercice de leurs activités commerciales. Et les possibilités qu’offre celle-ci sont telles que son influence ne devrait pas avoir de cesse de croître.
L’IA au service de la finance d’entreprise
En finance d’entreprise, l’IA peut représenter un gain de temps significatif dans le traitement de tâches lourdes et dans l’analyse de grands volumes de documents. La comptabilité interne est accélérée par des solutions telles que SAP Leonardo Cash Application. Si l’on considère le cas des créances-clients, l’application analyse l’historique de données des clients, apprend les principales règles implicites de classification, priorise ces différentes règles et les applique de façon optimale à de nouvelles données. Les paiements des clients sont alors automatiquement associés aux créances ouvertes et ces dernières sont closes : soit une gestion plus rapide du cash, un meilleur délai d’encaissement et des coûts réduits.
Hormis les opérations internes, l’IA facilite aussi les processus B2B. Aujourd’hui émergent des solutions intelligentes d’analyse de contrats, dans le but d’en présenter les informations clés. Souvent fastidieux et techniques, ces documents deviendront ainsi de plus en plus accessibles aux décideurs n’ayant pas ou peu de formation juridique. On peut donc imaginer une plus grande transparence et une meilleure identification des risques lors de due diligence dans le cadre d’opérations de fusions-acquisitions.
La finance personnelle plus intelligente
En finance personnelle, l’émergence des chatbots promet une meilleure expérience client tout en réduisant les coûts pour les organisations. C’est pour cette raison que la Banque Commerciale de Dubaï a déployé Sara, afin de faciliter les opérations habituelles de ses clients – virements, localisations des agences, etc. –, mais aussi pour fournir des services plus complexes – conseils en gestion de l’épargne, opportunités d’investissements, etc. Si cette délégation de services complexes aux machines a l’avantage de rendre ces derniers disponibles 24h/24 et 7j/7, il faut aussi noter que la relation client-machine ne vise pas à supplanter la relation client-conseiller, mais simplement à la compléter en amont du processus et en réduire ainsi les coûts.
Les banques implémentent aussi l’IA pour automatiser et améliorer les décisions financières concernant l’éligibilité au crédit et à l’assurance. Par exemple, Zest Finance fournit un outil qui utilise des techniques de machine learning (apprentissage automatique) pour aider les prêteurs à identifier les opportunités de prêts parmi les personnes avec peu d’informations de credit-scoring (notation d’éligibilité au crédit) – typiquement des jeunes ou des étrangers, entre autres. Contrairement aux modèles de scoring traditionnels qui utilisent au plus une cinquantaine de paramètres, les modèles à intelligence artificielle prennent en compte des centaines de paramètres pour optimiser les décisions de prêt et pour identifier les opportunités manquées. Une bonne nouvelle pour les banques comme pour les particuliers en recherche difficile de crédit.
Enfin, les banques implémentent aussi l’IA pour détecter la fraude. S’il est en effet un domaine dans lequel le machine learning excelle, c’est la détection de comportements singuliers, tels que des transactions inhabituelles, ce qui permet donc souvent de détecter des cas de fraude. Un exemple remarquable : celui de la banque britannique Monzo, dont le modèle d’apprentissage non supervisé a permis de réduire le taux de fraude sur les cartes prépayées de 0,85 % à moins de 0,1 % en à peine 6 mois.
Prédiction, décision et production : les nouvelles tendances sur les marchés financiers
Mais la finance de marché est certainement l’un des secteurs financiers les plus affectés par ces bouleversements. Qu’il s’agisse de grandes banques d’affaires ou de petites boutiques de trading haute fréquence, les investissements se multiplient dans ce secteur, et la course au « crunching de la data » financière – une façon alternative de parler de l’analyse des données financières – s’accélère, avec l’espoir d’optimiser les décisions d’investissement.
Goldman Sachs a par exemple investi dans le machine learning afin de pouvoir parcourir des milliers de rapports d’analystes et en déduire – en fonction des termes positifs et termes négatifs utilisés – un « score de sentiment » pour un ensemble d’actions boursières, orientant les décisions d’achat, de maintien et de ventes d’actions.
Depuis quelques années en effet, l’analyse de données ouvre des opportunités d’information bien plus larges que l’analyse des seules données numériques. C’est le cas de l’analyse textuelle par exemple. De plus en plus d’algorithmes sont capables de récupérer des informations financières, des communications d’entreprises, des nouvelles juridiques et des publications sur les réseaux sociaux pour décider des meilleures actions à mener dans un marché, le tout en quelques secondes. L’approche la plus fréquente est celle de l’analyse de sentiments et se démocratise grâce au développement d’algorithmes de Natural Language Processing, ou NLP (Traitement Automatique du Langage Naturel, ou TALN), visant à comprendre le langage humain.
Plus encore, il est des domaines où l’IA n’est pas un simple assistant, mais un outil quasi autonome. Dans le contexte du trading haute fréquence, des applications de trading quantitatif prédisent, par exemple, l’évolution du cours d’une action, à l’échelle de la microseconde, et sont ainsi capables de « décider » de réaliser des opérations d’achat et de vente de titres, tout en changeant de stratégie plusieurs fois en quelques instants seulement. Ainsi l’IA analyse-t-elle et décide-t-elle bien plus rapidement que l’humain pour assurer un comportement optimal au sein du marché.
Enfin, au-delà de l’achat et de la vente de titres financiers, l’IA commence même à créer ces titres. Par exemple, dans le domaine des ETF – aussi appelés « trackers » en France, pour désigner les fonds de placement indiciels côtés en bourse –, la technologie IBM Watson est utilisée pour gérer AIEQ, « The AI-Powered ETF », un tracker à intelligence artificielle développé par Equbot. Elle analyse environ 6000 actions boursières américaines, les classe en fonction de leur probabilité de gagner en valeur et conserve les 30 à 70 premiers titres du classement. Si AIEQ a une performance similaire à celle de son benchmark depuis novembre 2017, il sera intéressant d’analyser, à long terme, si ces nouveaux produits financiers intelligents seront porteurs d’une meilleure rentabilité.
Les défis de demain
L’intelligence artificielle est manifestement une pierre angulaire de la Fintech et orientera les décisions stratégiques et les évolutions opérationnelles des années à venir dans ce secteur. Mais plusieurs défis demeurent à relever.
Le premier est bien entendu celui de l’intégration aux autres technologies nouvelles. On peut s’attendre ainsi à voir des synergies avec d’autres technologies prometteuses comme la blockchain. Aujourd’hui, certaines entreprises tentent déjà de combiner ces deux innovations. C’est le cas de CognitiveScale qui offre aux entreprises la possibilité d’enregistrer les décisions faites par leurs logiciels IA et de faciliter ainsi les audits, augmentant la transparence de l’IA et assurant la conformité tout en réduisant la complexité et les coûts du reporting.
Le second défi sera celui du respect de la vie privée, les données (parfois personnelles) étant au coeur de tout algorithme intelligent. Rappelons l’histoire d’Admiral Insurance et de son initiative « firstcarquote » en 2016 : l’idée était d’utiliser l’IA dans le calcul des prix d’assurance pour de nouveaux jeunes conducteurs, en analysant leurs personnalités à travers leurs données Facebook – une technique connue sous le nom de « data scrapping ». Les personnes qui formulaient des phrases courtes et concrètes, qui programmaient des heures et des endroits précis pour retrouver leurs amis ou qui faisaient des listes, avaient un score plus élevé pour Admiral Insurance que les personnes qui utilisaient souvent les mots « toujours » ou « jamais ». Évidemment, un score plus faible signifiait une assurance plus chère. Si cela semble rationnel du point de vue d’une assurance, l’inquiétude véritable réside plutôt dans l’utilisation de données comportementales dans un environnement qui n’a que très peu à voir avec la conduite (Facebook) pour définir le prix d’une assurance automobile. In fine, Facebook a bloqué le data scrapping d’Admiral Insurance, la stratégie de pricing de l’assureur ayant été considérée comme « intrusive ».
Mais le défi qui apparaît aujourd’hui comme étant le plus difficile est le suivant : de nombreux algorithmes à intelligence artificielle que nous développons demeurent des boîtes noires, fondées sur des modèles statistiques en mutation permanente – conséquence de l’apprentissage automatique. Autrement dit, ces algorithmes prennent des décisions que nous ne savons pas toujours expliquer – les développeurs eux-mêmes se retrouvent parfois incapables d’expliquer pourquoi un algorithme a fait tel choix plutôt que tel autre. Ce que nous pourrions considérer comme un effet secondaire de l’IA résulte en des marchés financiers plus imprévisibles – pour nous humains du moins.
Après la numérisation de la finance, l’un des événements les plus révélateurs des risques de la finance automatisée est sans doute le Flash Crash de 2010 : un après-midi du mois de mai, le Dow Jones perd 10 % de sa capitalisation boursière – soit une volatilisation de 360 milliards de dollars – en 10 minutes. Bien que diverses explications aient été avancées, l’hypothèse la plus plausible est que les algorithmes IA de trading à haute fréquence se soient « emballés » suite à certains ordres de vente singuliers et un effet boule-de-neige subséquent. Ce crash pose aujourd’hui la question du contrôle des machines : s’il est déjà bien difficile pour un trader ou un développeur de prévoir les comportements de son propre algorithme, il est exponentiellement plus compliqué d’en prévoir les interactions avec les autres algorithmes dans la nature – et pourtant, au fur et à mesure de la démocratisation de cette technologie, cela sera de plus en plus nécessaire pour les analystes comme pour les autorités financières.
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