Intelligence artificielle, le potentiel insoupçonné de la France



9 mai 2016





Tribune signée par Ken LeCoutre et publiée dans Les Échos





Dans la course au développement de l’intelligence artificielle, cette science informatique qui dote les machines de capacités mentales complexes, la France dispose de sérieux atouts. Encore faudra-t-il surmonter certaines de nos inquiétudes, pour réaliser pleinement ce potentiel.


« Paris a la plus grande concentration de talents de toute l’Europe en matière d’intelligence artificielle (IA) », estime Mike Schroepfer, CTO de Facebook, selon des propos rapportés l’an dernier par l’Usine Digitale.


Précisément, la ville de Paris a été préférée à Londres pour accueillir la division FAIR (Facebook Artificial Intelligence Research) de la firme américaine, division chargée de mener des projets de recherche en matière d’IA ; de quoi se rassurer quant à la capacité de la France à jouer un rôle majeur dans le monde technologique qui se dessine.


65 % des Français inquiets fa​ce à l' IA


Pourtant, il semble que la population française soit singulièrement réticente à l’autonomisation croissante des machines. Tandis que du côté anglo-saxon, seulement 36 % des Britanniques (sondage YouGov de mars 2016 pour la British Science Association) et 22 % des Américains (sondage de l’université Chapman d’avril 2015) pensent que l’IA représentera une menace pour l’humanité, la tendance hexagonale est toute autre, puisqu’une étude réalisée par l’IFOP pour l’Observatoire B2V des Mémoires conclut que 65 % des Français sont inquiets du développement de l’IA.


Sans doute cette inquiétude est-elle attisée par la stratégie de communication déployée autour de l’IA. En effet, les progrès récents les plus marquants sont révélés au grand public à l’occasion de performances de l’ordinateur contre des humains à des jeux réputés pour leur complexité. Depuis 1997 et la victoire de Deep Blue d’IBM sur Gary Kasparvov aux échecs, le programme Watson (IBM) a su vaincre les deux champions en date du jeu télévisé Jeopardy! en février 2011. Dernièrement, retenons la victoire du programme AlphaGo développé par Google DeepMind sur Lee Sedol, alors 4ème meilleur joueur mondial du jeu de go.


En collaboration avec le cerveau humain


Certes, ces prouesses techniques sont spectaculaires. Elles gratifient les équipes d’ingénieurs talentueux qui en sont à l’origine et enthousiasment la communauté technophile. Toutefois, ces performances ont l’inconvénient d’alimenter une certaine défiance vis-à-vis de l’IA en cela qu’elles mettent en scène la compétition entre le cerveau humain et celui de la machine. Or, c’est bien de la coopération entre ces intelligences complémentaires que sont tirés d’inestimables bénéfices.


Par exemple, le secteur de la santé profite déjà de la puissance cognitive du logiciel Watson, une IA qui comprend et parle le langage naturel. Ce cerveau de silicium accessible via le Cloud est capable de scanner des quantités phénoménales de données médicales et d’études scientifiques en quelques secondes. Des organisations pionnières, comme le Memorial Sloan Kettering Cancer Center de New York, l’utilisent déjà pour soutenir les médecins dans la formulation de leurs diagnostics.


Un potentiel français qui se développe


C’est en présentant régulièrement les réussites de cette réalité collaborative que les inquiétudes des Français pourront s’estomper, leur permettant ainsi d’embrasser pleinement tout le potentiel dont la France jouit dans ce domaine. Ce potentiel, bien compris par l’équipe du FAIR, est avant tout le résultat d’une excellence de la recherche française, notamment en mathématiques. Forte de son réseau d’institutions de formation et de recherche de pointe (CNRS, ENS, Polytechnique, Institut Poincaré, etc.), la France a produit près du quart des médailles Fields de la planète.


En matière d’intelligence artificielle, ce sont le CNRS et l’INRIA qui sont les fers de lance de la recherche. Ce dernier, institut public de recherche dédié aux sciences du numérique, organise la recherche et favorise l’émergence des jeunes pousses françaises du secteur.


Dans cette catégorie, citons l’exemple de Snips qui a levé 5,6 millions d'euros en 2015 et qui vise à rendre la collaboration avec l’IA la plus intuitive possible. De même, le développement de Niland, Jam, Julie Desk et Riminder dans les domaines de l’interaction entre l’homme et l’IA, ainsi que celui de Craft.ai en ce qui concerne les objets connectés, constituent autant de preuves que notre écosystème national dispose de formidables ressources entrepreneuriales.


Plus encore, Smart Me Up développe une solution de reconnaissance faciale tandis que CardioLogs Technologies, Khresterion et Dexstr sont porteurs d’innovations dans les domaines de la santé. Mais c’est avant tout dans les solutions aux entreprises que les IA françaises connaissent le plus de succès. L'éditeur de logiciels Antidot fait figure de précurseur depuis sa création en 1999, suivi entre autres de Sinequa et de Dataiku.


Made in France : le « deep learning »


Le point commun de ces entreprises est d’avoir su prendre le récent virage technologique du deep learning. Sous cette appellation se trouve le nouveau paradigme de l’IA qui consiste à « laisser » la machine apprendre et s’améliorer d’elle-même plutôt que de tout encoder initialement. On parle d’apprentissage non supervisé, plus proche de celui opéré par les cerveaux organiques. Là encore, à l’origine de cette révolution conceptuelle et technologique se trouve un Français : Yann LeCun, un des pères du deep learning et des réseaux de neurones convolutifs, aujourd’hui à la tête de la division FAIR à Paris.


L’élaboration de cette technologie a permis de franchir un cap dans la reconnaissance des données non structurées (comme les images). La compréhension de ces données complexes est une étape importante dans l’histoire de l’évolution de l’IA, évolution qui semble s’aligner, pour le meilleur, sur les prévisions émises par le prospectiviste Joël de Rosnay.


Vers un hyper-humanisme ?


Dès 1995, le désormais Président exécutif de Biotics International et conseiller du Président d’Universcience annonçait, dans L’Homme symbiotique, une coopération de plus en plus importante entre l’Homme et le « cybionte », dont émergerait un hyper-humanisme. Ce nouvel humanisme s’oppose à un transhumanisme, jugé individualiste et égoïste, et serait le fruit de la progression conjointe de l’IA et des capacités cognitives de l’Homme. L’hyper-humanisme concrétise ainsi le recentrage de l’activité humaine vers ce qui caractérise fondamentalement son humanité : l’altruisme et l’empathie.


C’est par conséquent au cœur du débat éthique que la France trouvera également sa légitimité dans le secteur de l'IA. En assumant son rôle dans la définition de ce nouveau monde technologique, la France pourra, une fois encore, y faire rayonner les valeurs des Lumières.


Crédit photo : Ethen Rera