Quel sens (re)donner à nos institutions ?



6 mars 2019





Contribution au grand débat national, cosignée avec l'Amicale gaulliste du Sénat





Esprit général


« Les miettes tombent » ; ainsi réagit Maxime Nicolle, l’une des figures de proue du mouvement des gilets jaunes, à l’allocution présidentielle du 10 décembre 2018 destinée à mettre un terme à la contestation sociale.


Si le Président Emmanuel Macron multiplie à cette occasion les annonces (revalorisation du SMIC à la charge de l’État, annulation de la hausse de CSG pour les retraités modestes ou bien encore défiscalisation des heures supplémentaires et des primes de fin d’année), leur réception s’avère contrastée. « Trop peu/Trop tard/Après trop de violance (sic) et de mépris !!!/À samedi !!! » publie encore Éric Drouet, autre visage médiatique du mouvement. Tant est si bien que s’est tenu, samedi 2 mars, l’acte 16 d’une mobilisation qui perdure quoiqu’en baisse d’intensité.


Pour expliquer pareil sentiment de malaise et de détresse, largement diffus au sein de la société française, les commentateurs ont pour l’essentiel adopté une approche sociologique : il se serait agi du réveil de la France périphérique, celle des oubliés que mépriserait la classe dirigeante et politique, réveil sonné par la hausse annoncée de la taxe sur les carburants et finalement ajournée par le gouvernement.


Pourtant, la crise des gilets jaunes n’est pas réductible à une crise du pouvoir d’achat. Les dispositions d’ordre socioéconomique ne sauraient suffire à expliquer l’immensité du problème que recouvre l’expression de ce que le philosophe Marcel Gauchet nomme « le malheur français ». D’autant plus qu’il semble bien incertain, sur ce terrain, d’être en mesure de répondre à la multiplicité – inconciliable – des revendications énoncées : comment satisfaire tout à la fois les demandes de baisse de pression fiscale et de hausse des prestations sociales ?


La France est, depuis le 17 novembre 2018 et les premiers blocages de ronds-points, le théâtre d’une convulsion majeure dans le déploiement de ses acquis démocratiques. Longtemps avons-nous cru être parvenus à la « fin de l’histoire », et que jamais plus notre système alliant démocratie libérale et économie de marché ne connaîtrait d’entraves à son avènement.


Le XXème siècle a, il est vrai, achevé de libérer notre société des contraintes dont elle était l’objet, telles que l’autorité religieuse, l’absolutisme politique ou le sacré des traditions. Mais avec l’émergence de l’État-nation et des droits individuels s’est ouverte une ère de l’autonomie qu’il s’agit désormais de s’approprier. La crise des gilets jaunes vient rappeler à quel point cette appropriation est difficile.


Si notre démocratie s’est dotée d’institutions solidement ancrées depuis plus d’un demi-siècle grâce à l’établissement de la Vème République, la question aujourd’hui en suspens est celle du sens qu’il convient de leur conférer. Autrement dit, une lecture différente de celle sociologique est possible pour rendre compte du moment heurté que traverse le pays : elle est celle d’une recherche de sens, du refus de l’inféodation du pouvoir politique au pouvoir économique et de redéfinition d’une perspective collective.


Crédit photo : Ornithorynque