Qu'attendons-nous encore du politique en 2022 ?



3 décembre 2021





Tribune cosignée avec Le Millénaire (Nicolas Germain, Marion Pariset, Oriane Lesiak et ​Éric Jacquemin) et publiée dans Les Échos





« Le plus important, c’est qu’il faut que nous ayons une vision et pas seulement un catalogue de mesures. » Cette exigence, exprimée par Philippe Juvin lors des débats entre candidats au congrès des Républicains (LR), est à la fois juste et troublante.


Juste, en ce qu’elle décrit la frustration d’électeurs orphelins d’un véritable projet de société et donc en quête de sens. Troublante, en ce qu’elle est symptomatique d’une incapacité à prendre de la hauteur et à imprimer une direction. Tout sauf évident, hors période de crise, lorsque l’accumulation des contraintes nationales comme internationales inhibe l’effectivité de la décision publique.


Faire et non plus subir


Or s’il est un champ que ne doit pas cesser d’occuper le politique, c’est celui du possible. La crise du Covid-19 a permis de réhabiliter, momentanément, le responsable politique dans un registre qui ne soit plus seulement de l’ordre de l’ajustement, mais d’une action véritable sur le réel. Français confinés, frontières condamnées, entreprises abondées : du jour au lendemain, la politique a refait brusquement irruption dans tous les domaines du quotidien.


Cette crise, dans des circonstances exceptionnelles, l’a resituée dans sa capacité à faire et non plus subir. En cela se noue l’une des attentes principales des Français à l’égard de leurs représentants : le souhait d'une intention et d'une action résolues.


La possibilité de satisfaire cette attente se heurte toutefois au manque de clarté des lignes de partage entre candidats dits de gouvernement. La présence d'anciens ténors de la droite parmi les signataires d’un appel à soutenir le président sortant, Édouard Philippe et Christian Estrosi en tête, continue de brouiller un échiquier déjà largement renversé. Dès lors, ce que changerait profondément dans la conduite de l’État le remplacement d’Emmanuel Macron par un candidat de la droite et du centre n’est pas évident aux yeux de nombreux électeurs. Ceci ne manque pas d’alimenter le désenchantement général.


Les extrêmes, au travers de leur radicalité, sont malheureusement les plus à même d’affirmer leur spécificité et de mobiliser les enthousiasmes. Le discours du désormais candidat Éric Zemmour, solidement ancré sur le récit d’un combat de civilisation entre une France éternelle et un islam conquérant, convainc ses partisans. Et c’est tout sauf une bonne nouvelle pour la République : cette disposition à projeter un discours dans le temps long de notre histoire commune ne peut pas, et ne doit pas, demeurer l’apanage des tenants de l’exclusion et du rejet de l’autre.


Par-delà la gestion, un art politique !


La réalité est que l’action politique est passée d’art à gestion, corsetée dans un flot de contraintes exogènes qu’elle ne parvient plus à dépasser. Contraintes économiques, d’abord, symbolisées par le « rouleau compresseur de la mondialisation » auquel les analystes attribuent l’aggravation des fractures territoriales. La bureaucratisation d’une idée magnifique, la construction européenne, se solde elle aussi par une impression de dépossession des principaux leviers décisionnels. D’autant plus dans un contexte où certaines entreprises, des Gafam américains aux BATX chinois, disposent de moyens similaires à ceux des États eux-mêmes.


Contraintes juridiques, ensuite, puisque la multiplication d’instances supérieures conduit à une judiciarisation de décisions relevant traditionnellement de la souveraineté collective. Ce mouvement est ancien : dès 1978, le Conseil d’État censurait la suspension du regroupement familial décidée par le gouvernement de Raymond Barre. Plus récemment, de mars 2020 à mars 2021, cette même juridiction a suspendu ou ordonné que soient modifiées, dans une cinquantaine d’affaires, les mesures prises par le gouvernement et les collectivités territoriales pour faire face à la crise. Si un contrôle de l’État et de ses administrations est indispensable, pour éviter les atteintes excessives aux libertés fondamentales, cette judiciarisation est un fait et interroge quant à la nature réelle du foyer du pouvoir.


De là à parler, progressivement, de rétrécissement des marges de manœuvre dont dispose le politique ? Face à ce péril, la tentation est grande pour ce dernier de s’abriter derrière deux étendards non moins risqués : ceux de la systématisation à tout crin des dispositifs de démocratie directe et de transparence à outrance. Démocratie directe et transparence, deux horizons à aborder avec habileté pour que la première ne devienne pas un prétexte pour départir le politique de décisions dont il ne souhaite plus assumer la responsabilité, et pour que la seconde n’achève pas de décourager les talents de la République à s’exposer dans l’exercice d’un mandat. Jamais les élus n’ont autant été « à portée de gifle », en raison de ce décalage patent entre les demandes qui leur sont adressées et leur aptitude à y donner suite.


Nous formulons ainsi le vœu que l’échéance présidentielle à venir soit le creuset d’une réflexion profonde sur le rôle du politique et sa promesse originelle de nous rendre maîtres, collectivement, de notre destin. La vigueur actuelle du concept de souveraineté – nombreux sont les candidats de tous bords s’en réclamant de près ou de loin – trahit cet impérieux besoin de ne plus cantonner la politique au train-train d’un pragmatisme gestionnaire. Que cette maîtrise se déploie à l’échelle de l’État-nation ou d’un cadre supranational européen, en fonction des sensibilités des uns et des autres, l’enjeu reste identique : reconnaître que, à l’heure de la mondialisation et de la digitalisation de nos sociétés, nous conservons une même aspiration à décider de notre avenir, ce à quoi la politique se destine.


Crédit photo : gula08