Plan Juncker : le miracle n'aura pas lieu



11 octobre 2015





Tribune signée par Rémi Le Tenier et publiée dans Les Échos





Tarte à la crème de la campagne pour les élections européennes de 2014, la mise en place d’un large plan d’investissement européen visant à relancer une économie européenne atone, naviguant dans les eaux troubles de la désinflation et du chômage, était la promesse phare du candidat de la droite européenne, Jean-Claude Juncker.


À peine un an après sa prise de fonction, le président de la Commission européenne a posé la première pierre de ce plan en grande pompe en France en juillet 2015. La prise de participation du tout nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) à hauteur de 50 millions d’euros dans Capenergie 3, un fonds d’investissement français dédié aux énergies renouvelables, est en effet le premier placement du plan Juncker sur le territoire français. Avec cet apport, Omres Capital, détenteur du fonds, espère lever 200 millions d’euros d’ici fin 2016, jusqu’à mobiliser in fine un milliard d’euros, grâce aux effets de levier financier, et par là même créer un millier d’emplois.


Le plan Juncker est censé répondre au déficit d’investissement public et privé au sein de la zone euro, en mobilisant 315 milliards d’euros de capitaux sur trois ans. Cependant, il est évident que l’Union européenne n’a pas la capacité de financer à elle seule une telle somme, puisque dotée d'un budget de 142 milliards d’euros, soit à peine la moitié de celle-ci. Les États européens étant déjà en déficit et la Banque centrale européenne (BCE) ne pouvant pas lui prêter directement, la Commission a décidé de jouer sur l’effet de levier financier issu du secteur privé.


Dans un premier temps, l’Union Européenne doit apporter une garantie de 21 milliards d’euros, 16 issus de son budget et 5 de celui de la Banque européenne d’investissement (BEI). Avec cette somme, le FEIS sort de terre, chargé d’emprunter sur les marchés en émettant des obligations. Cette garantie lui permet alors d’emprunter à des taux peu élevés, en bénéficiant de la notation AAA de la BEI. La Commission table à ce stade sur un effet de levier x3, permettant ainsi de lever 63 milliards d’euros.


Dans un deuxième temps, l’Union européenne mobilise le secteur privé, jouant sur la séniorité des dettes. En effet, les investisseurs publics acceptent d’être remboursés en dernier si les investissements financés par les acteurs privés ne fonctionnent pas. Cela doit permettre de réduire le risque de perte pour ces derniers, et de bénéficier d’un nouvel effet de levier, hypothétiquement de cinq, qui doit permettre de transformer ces 63 milliards d’euros en 315 milliards.


La garantie de l’Union européenne est donc subordonnée à la dette du FEIS, elle-même subordonnée aux fonds du secteur privé. Selon les prévisions de la Commission, un euro de garantie de fonds public se transformerait donc en 15 euros d’investissement. Cependant, Jean Arthuis (ALDE), président de la Commission des budgets du Parlement européen, met en garde contre deux risques liés à la mise en œuvre du FEIS : « le premier risque est de ne pas assurer le partenariat attendu par les PME, en contradiction avec l'exigence d'additionnalité introduite dans notre règlement, et le second risque est d'ouvrir la voie à une déconsolidation des dépenses publiques d'investissement et des dettes corrélatives. »


Au regard d’une récente étude de Moody’s, ces prévisions paraissent optimistes. En effet, selon eux, le FEIS ne parviendrait à attirer qu’entre 60 et 130 milliards d’euros d’investisseurs privés, pour un montant total du programme de 130 à 190 milliards d’euros sur trois ans. Des sommes bien éloignées de celles réclamées par l’ex-commissaire aux affaires économiques et financières, Olli Rehn, pourtant peu connu pour son keynésianisme effréné, qui prônait la mise en place d’un plan d’investissement à hauteur de 700 milliards d’euros pour relancer la croissance européenne.


La somme de 315 milliards d’euros, prévue dans la fourchette haute, apparaît ainsi dérisoire face à la gravité de la crise subie par la zone euro. Dans les premiers mois de la crise financière, l’administration américaine avait en effet investi 787 milliards de dollars dans le Recovery and Reinvstement Act de 2009, soit deux fois plus que ce que le plan Juncker prévoit. Les sommes qui devraient être réellement en jeu apparaissent donc dérisoires. Alors que l’investissement public et privé a diminué de 20 % dans la zone euro depuis 2007, la Commission propose d’investir l’équivalent d’à peine 3 % des 2 000 milliards d’euros d’investissements publics et privés effectués annuellement dans les pays de l’Union européenne.


De plus, 5 des 16 milliards du fonds de garantie seront piochés dans les programmes de recherche européens, comme Horizon 2020, qui soutient la recherche fondamentale. En plus de ne pas avoir la taille adaptée, ce programme s’apparente donc à une simple remise en place des plans d’investissements préexistants. Les négociations âpres entre le Parlement, qui ne souhaitait pas voir le plan se financer sur ces fonds de recherche, et la Commission, ont donc abouti à un échec, que mettait en avant l’eurodéputé anglais Richard Ashworth (ECR), s'étant déclaré « déçu du fait qu’une partie des budgets européens d'investissement pour la recherche et les transports soit utilisée pour alimenter le Fonds ».


Ainsi, si le plan Juncker apparaît fondamentalement comme une bonne idée pour pallier le manque d’investissement privé et le recul de l’investissement public dont pâtit la zone euro, les sommes engagées par la Commission apparaissent trop faibles pour avoir un réel impact sur l’économie européenne. Si rien n’est fait pour l’améliorer, le plan Juncker pourrait être la copie conforme du Compact for Growth, plan d’investissement lancé par la BEI en 2012, et qui n’avait conduit qu’à un effet de levier de 2, soit trois fois inférieur à ses prévisions originelles. Une fois de plus, alors qu’elle est confrontée à un défi majeur, celui de redonner la confiance aux acteurs privés, l’Union européenne se retrouve forcée à jouer le jeu du gagne-petit. Si le plan Juncker semble être unanimement salué, il devra être renforcé pour avoir un réel impact sur l’économie européenne.


Crédit photo : European Parliament