Moralisation de la vie publique : des politiques qui ratent le coche



31 juillet 2017





Tribune signée par Clotilde Noël et publiée dans Les Échos





Depuis les années 2000, différentes lois visant à moraliser ou moderniser la vie publique ont été adoptées. Mais elles ne collent pas toujours avec la réalité de la vie politique locale. La loi sur « la confiance dans notre vie démocratique » a été adoptée vendredi à une large majorité après une semaine de débats houleux à l'assemblée. Il s’agissait d’une promesse phare d’Emmanuel Macron.


Le projet de loi initié par François Bayrou , avant qu'il ne soit contraint à la démission, prévoit par exemple l'interdiction de recruter un membre de sa famille, la suppression de la réserve parlementaire ou encore l'instauration d'un système de notes de frais afin de contrôler les dépenses des parlementaires. Nicole Belloubet, qui a succedé à François Bayrou à la Chancellerie, a porté à sa suite ce chantier emblématique du quinquennat.


« Il y a deux façons de faire de la politique, ou bien on vit pour la politique ou on vit de la politique. » La récente campagne présidentielle et les différentes affaires concernant les assistants parlementaires, ou les élus directement, ont précisément réactivé cet axiome wébérien pourtant ancien.


Des logiques bien étrangères à celle de l’intérêt général semblent avoir été développées par certains de nos élus. Pour répondre à cet agacement, constant depuis quelques mandats, différentes lois ont été votées pour « moderniser » la vie politique. Quel bilan pouvons-nous dresser de ces mesures législatives et quelles en sont les conséquences pour les territoires ? Modernisation et moralisation sont-elles des réponses pertinentes pour résoudre la crise de confiance envers les politiques ?


Une volonté de réforme de la vie politique


Depuis les années 2000 et les réflexions menées par Édouard Balladur en 2007 ou Lionel Jospin en 2012 (notamment via la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique), on note une attention particulière portée à la vie publique, à ses modalités et à ses règles. Entre des phases de recul de la question, des personnels politiques peu enclins à renoncer à des habitudes tenaces et des projets de loi édulcorés, le problème de la « modernisation » de la vie politique se pose.


Si des incompatibilités entre mandats électoraux avaient déjà été soulignées et proscrites dans une loi organique du 5 avril 2000, l’avancée majeure pour résoudre la crise de confiance des citoyens envers la classe politique est la loi votée en 2014 sur le non-cumul des mandats, rentrant en vigueur respectivement en juillet et en septembre 2017 pour l’Assemblée nationale et le Sénat.


Dans ses grandes lignes, elle interdit les fonctions de maire et d’adjoint aux députés et sénateurs, ainsi que toute présidence ou vice-présidence d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), de conseils régionaux et départementaux ou d’organes délibératifs de collectivités territoriales.


Le projet de moralisation quant à lui se découperait en trois lois. La loi constitutionnelle limiterait à trois mandats identiques successifs l’action des élus aux plans national et local, sauf pour les petites communes ; les ministres ne pourraient prendre part à des exécutifs locaux.


La loi ordinaire proscrirait les emplois familiaux, interdirait l’activité de conseil au-delà de 15 % du revenu des élus, mettrait en place l’inéligibilité jusqu’à 10 ans pour des crimes ou délits relevant de la fraude ou de la corruption et supprimerait la réserve parlementaire.


Enfin, la loi organique créerait une banque de la démocratie associée à la Caisse des dépôts, s’occupant des transactions avec les partis, et assurerait que le financement de ceux-ci soit vérifié par la Cour des comptes.


Une réforme à confronter avec le réel


Cette moralisation semble oublier la réalité de la vie politique locale, faite de luttes entre chaque commune dans un climat de baisse des dotations. « Avoir deux casquettes » relève donc, dans la plupart des cas, plus d'une nécessité que d'une unique soif de pouvoir des élus, d'un atout permettant de développer sa commune, évitant son déclin et l’inscrivant dans un territoire plus large, marqué par la mondialisation et les effets de métropolisation. La vie politique locale est faite de réseaux et de belles amitiés qu’on le veuille ou non, et ces logiques resteront, en dépit de la loi.


Par ailleurs, supprimer la réserve parlementaire semble accroître les inégalités plutôt que de les endiguer. Les politiques publiques des cinquante dernières années et leur efficacité sont, de plus en plus, remises en question. Mises en place par des experts après une fine analyse du territoire concerné, des territoires ou des secteurs associatifs restent oubliés, car ne répondant pas aux critères d’attribution d’aides étatiques.


À titre d’exemple, l’espace rural où la pauvreté est plus diffuse, plus compliquée à cerner, ne bénéficie que peu des politiques d’aide nationale. L’action de l’élu qui comble avec sa réserve certains déséquilibres, par le soutien apporté à des projets consciencieusement choisis, est alors capitale et quelques cas de fraude ne doivent pas aveugler le citoyen sur le fonctionnement général. Cette pratique, d’ailleurs bien contrôlée, peut permettre de fluidifier des rouages administratifs parfois lourds et longs ne répondant pas aux impératifs des communes.


Cette réforme arrive dans une période de grande mutation de nos territoires locaux, qui plus que jamais, ont besoin d’un lien avec l’échelon national. Or, avec cette loi, une déconnexion encore plus importante entre les parlementaires et le terrain est à considérer. Si l’on prend l’exemple des sénateurs, généralement à l’initiative des projets de loi sur les collectivités territoriales et traditionnellement dépositaires du dernier mot lors des scrutins en la matière, 220 sur 348 exercent un mandat local, allant de la charge de conseiller municipal à président de région.


Cela permet la remontée des informations ainsi qu’un meilleur jugement dans l’appréciation de ces questions. Est-ce donc vraiment pertinent de ne plus être confronté à cela et d’avoir un Parlement déraciné alors même que c’est un reproche souvent évoqué ?


Enfin, ces mesures semblent ambiguës au regard des dernières annonces du gouvernement, encore à préciser, sur le statut des élus qui seraient mieux protégés, mieux rémunérés et plus libres de leurs actes tandis que le débat sur l’IRFM (indemnité de frais de mandat) fait rage et laisse plutôt penser l’inverse. Il n’est pas sûr non plus que cela favorise un renouvellement de la classe politique, à la mode ces derniers temps, mais plutôt une redéfinition du cursus honorum ancien selon de nouvelles modalités.


Une réforme à perfectionner


Il n’est pas question ici de nier les tentatives de réponse à un problème bel et bien existant, mais d’autres mesures seraient également envisageables. Les mesures en lien direct avec la question des élus pourraient être réorientées pour ne pas supprimer la réserve parlementaire et pour inclure une obligation de casier judiciaire vierge.


Faire vérifier le financement des partis par la Cour des comptes est également une proposition à retravailler pour qu’elle puisse être mise en place sans être rejetée par le Conseil d’État, au nom de la liberté d’entreprendre, comme cela a été le cas dans un avis du 12 juin dernier.


Mais ce qui est en jeu dans ces lois de modernisation et de moralisation est plus largement notre système politique. Il semblerait que pour résorber la crise de confiance, il faille prendre le problème à la racine sans le cristalliser sur ses représentants. L’inefficacité du Parlement et son manque de réactivité ne peuvent pas être imputés aux cumuls de mandat ou aux élus. Il conviendrait d’alléger l’action législative pour lever l’ambiguïté.


L’embouteillage législatif, créant un délai de deux ans environ entre le vote d’une loi et son décret d’application, est dû aux nombreux textes portant sur des questions si précises qu’elles pourraient relever davantage du règlement que de la loi. De même, la simplification des rouages administratifs, l’augmentation de la communication et de l’entente entre les différents échelons locaux et nationaux pourraient, de fait, apporter moins d’avantages à cumuler et donc une diminution des pratiques d’elles-mêmes.


Outre le rapport entre l’échelon local et national, une grande attention devrait être portée au métier de « politique ». En plus de pouvoir faire perdre de vue l’intérêt général puisque pour subsister il faut être élu, la professionnalisation des politiques peut compromettre les idées et couper la société civile de l’action politique.


Or, les parlementaires ne pouvant pas connaître tous les sujets, y compris lorsque des études ont été faites en vue d’une carrière politique, il est capital que certains d’entre eux soient spécialistes dans leur métier et leurs pratiques pour être en accord avec la réalité du terrain et pouvoir la porter au sein d’un hémicycle.


Obliger les élus à avoir des qualifications mises en pratique dans le cadre d’une activité, avant de commencer un mandat, pourrait être une piste à suivre. De manière générale, cette « modernisation » pose question quant à son application et à son efficacité réelle, tout en ne proposant pas de résoudre le problème à sa racine.


S’il faut en finir avec « un Parlement qui décide de ne rien décider » (Pierre Conesa, Surtout ne rien décider, Robert Laffont, 2014), menant une politique à court terme et orientée par le calendrier électoral, il ne faut pas oublier qu’il est également composé de personnes engagées qui ont besoin de plusieurs mandats pour mener à bien des projets.


De plus, si la population choisit de les investir, le vote n’est-il pas souverain ? À ce titre, les sites nossenateurs.fr ou nosdeputes.fr sont éclairants pour les électeurs afin de briser les tabous autour de ces supermen et wonderwomen de la politique.


Les tentatives de modernisation, comme de moralisation, de la vie politique ont en particulier porté sur les élus sans finalement inclure de vraies stratégies modernes. Par exemple, le numérique pourrait permettre la mise en place de stratégies bottom-up qui limiteraient les initiatives personnelles des élus allant à l’encontre de l’intérêt général, non pas à grand renfort de lois, mais grâce à l’avis de la population de la circonscription de laquelle ils sont au service et avec laquelle ils pourraient travailler.


Éveiller et inclure davantage le citoyen semble être la vraie question et la vraie piste à travailler pour résoudre la crise de confiance, le numérique ayant un rôle décisif à y jouer. Car si des élus ne payent pas leurs impôts ou viennent avec un bracelet électronique à l’Assemblée, ils bénéficient bien de l’assentiment ou, a minima, de l’indifférence du peuple.


Responsabiliser et remobiliser l’électeur, à chaque échelon de la vie politique, serait là le véritable gage de modernité et de moralité.


Crédit photo : Guillaume Paumier