Bancarisation : vers un nouveau modèle de croissance pour l'Afrique subsaharienne



25 avril 2016





Tribune signée par Rémi Le Tenier et publiée dans Les Échos





Dans un contexte économique morose, les États africains dépendants des revenus pétroliers tentent de trouver de nouvelles sources de financement, telles que la bancarisation, au service d’une croissance plus inclusive.


La récente baisse du cours du pétrole a lourdement grevé les recettes des États d’Afrique subsaharienne. Enregistrant des déficits qui devraient s’élever en moyenne à 8 % de leur PIB en 2016, et empruntant à des taux d’intérêt de 10 % auprès des marchés internationaux, les pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) voient leurs réserves de change fondre.


Pour l’Afrique subsaharienne, la chute est brutale. Après une croissance de 5 % en 2014, l’OCDE prévoyait en mai 2014 une hausse de son PIB de 5,7 % pour 2015. Elle ne sera finalement que de 3,75 %. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) n’excluant pas une stagnation du prix du baril à 50 dollars pour les dix prochaines années, le modèle de développement de l’Afrique subsaharienne, centré sur l’exportation de l’or noir, semble être voué à l’échec.


L'Afrique subsaharienne doit privilégier son autofinancement


À cela, les réponses principales sont déjà connues, les États africains devant en priorité assurer leur stabilité macroéconomique, poursuivre les réformes institutionnelles et mettre à niveau leurs infrastructures. Cependant, pour atteindre ces objectifs et mettre en place un modèle centré sur une croissance inclusive, il paraît nécessaire que l’Afrique subsaharienne diminue sa dépendance aux fonds internationaux, et commence à autofinancer son développement.


Sur le chemin de la croissance, la bancarisation du continent, qui permettrait une hausse de l’épargne intérieure, doit être privilégiée par les États africains. L’indépendance économique de l’Afrique subsaharienne, et la possibilité pour elle d’investir dans un tissu industriel porteur de sens en dépend.


De nombreux obstacles à la bancarisation


Si le taux de bancarisation des États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) est passé de 8 % à 15 % entre 2011 et 2014, seul celui de la Côte d’Ivoire dépasse les 20 %. À l’heure actuelle, les tarifs et frais de tenue de compte des banques africaines sont trop élevés par rapport au niveau de richesse de la population subsaharienne, ce qui amène 80 % de celle-ci à thésauriser. Au Cameroun, le dépôt minimum pour ouvrir un compte est de 700 dollars, alors que le salaire moyen est de 98 dollars par mois.


Les problèmes de communication sont aussi primordiaux. De vastes zones géographiques ne sont pas couvertes par les banques. Au Niger et au Togo, pays les moins bancarisés d’Afrique de l’Ouest, on compte respectivement un distributeur automatique de billets (ou guichet automatique de banque) pour 68 053 et 26 019 personnes. Cette absence de proximité, et aussi parfois de clarté dans les services proposés par les banques africaines, incitent les populations à accumuler leur argent.


Enfin, la bancarisation passe par l’inculcation par l’État d’une culture financière à sa population, encore peu formée aux bénéfices qu’elle pourrait tirer d’une épargne de ses réserves. En juillet 2011, la bancarisation de la paie des fonctionnaires congolais a imposé à 700 000 d'entre eux une ouverture de compte bancaire.


Une faible bancarisation liée à la surliquidité des banques


Sur le chemin du développement du secteur privé de l’Afrique subsaharienne se dresse également le problème du faible niveau de crédits accordés par les banques, qui va de pair avec les problèmes de surliquidité de celles-ci. Un pays comme le Congo, avec un taux de bancarisation de 7 %, dispose d’un taux de crédit n’atteignant pas 40 % des dépôts, alors que les réserves excédentaires des banques des pays de la CEMAC représentent près de trois fois les montants des réserves obligatoires.


Cela est dû en partie à la rente de situation des banques africaines, notamment en République démocratique du Congo, où les banques ne sont pas encouragées à pratiquer des taux d’intérêt attractifs face au risque de crédit relativement élevé et en l’absence de concurrence, en raison d'une segmentation du marché bancaire. Le poids important de l’économie informelle, environ 55 % du PIB en Afrique subsaharienne, rend très variable le revenu de la population.


Des garanties de remboursement essentielles à la croissance de la région


Le rapport de confiance fragile entre les banques et la population, largement entamé après les nombreuses faillites de banques africaines dans les années 1990, n’encourage pas les ménages à y placer leurs économies. Cela a conduit la CEMAC à lancer, fin février 2011, un fonds de garantie des dépôts, garantissant le remboursement et la restitution des fonds déposés à hauteur de 5 millions de francs CFA.


Ainsi, l’amélioration du financement des économies africaines est à rechercher dans l’accès à la liquidité plutôt que dans sa disponibilité. Ce vœu doit être accompagné par les institutions étrangères dans un rôle de garantie de remboursement des fonds, les États africains n’ayant pas toujours les capacités financières pour assumer cette responsabilité. La convention signée entre l’Agence française de développement (AFD) et la Banque Attijariwafa, qui permet à l’AFD de couvrir 50 % des risques des crédits que des banques locales accordent à des très petites entreprises, va dans ce sens.


Un meilleur accès de la population à l'information bancaire et la formation d’un réseau financier plus dense semblent indispensables à l’Afrique subsaharienne, en vue d’assurer au continent une croissance inclusive et centrée sur ses besoins, à la hauteur des possibilités entrouvertes par une démographie dynamique.


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